
Est-ce que l’argent peut vraiment « compenser » le coût d’abus sur la personne ?
(Source : https://thetyee.ca/Culture/2021/07/07/Healing-Art-Kintsugi/ )
Ici, j’aborde la question de la réparation dans le cadre des agressions sexuelles. Ce mot est employé par la justice. Il n’est cependant souvent pas aimé par les anciennes victimes. Pourquoi ? Que recouvre-t-il pour elle et pour la justice ?
La première réalité est qu’on ne peut PAS « réparer » une agression sexuelle. Elle a eu lieu, point barre. Et elle affecte plus ou moins notre vie selon un certain nombre d’éléments dont ne nous sommes pas maîtres : notre capacité de résilience, notre personnalité, notre entourage au moment des faits et après, à quel moment de notre vie celle-ci a eu lieu… Vous pouvez ajouter les critères que vous voyez pour vous-mêmes ! Je n’aurais sans doute pas été 17 ans dans un monastère si je n’avais pas été agressé sexuellement enfant. Et je ne serais probablement pas coach non plus, je n’aurais sans doute pas cherché autant à comprendre comment sortir d’un traumatisme et comment accompagner au mieux d’autres à sortir de leurs blessures sans cela. Cela fait partie de mon identité et a eu des conséquences sur mes choix de vie, les compétences que j’ai développées, les personnes avec qui j’échange… Donc, c’est vrai que la première « allergie » à ce mot : « réparer » est sans doute de laisser croire qu’il est possible de « réparer » cela. Non. Nous ne sommes pas un objet, nous sommes une personne. Nous pouvons vivre un chemin de guérison, de la résilience mais cette agression nous affecte à plus ou moins long terme, jusque dans notre corps souvent, notre confiance en nous-mêmes, notre confiance en l’autre.
Un point important à voir est de voir ce que ce mot « réparation » recouvre pour l’ancienne victime d’agression. Il n’est souvent pas « positif ». Il prend le sens d’acheter le silence ou de compenser précisément ce qui n’est pas compensable, réparable. Le rapport à l’argent ici est délicat. Après la deuxième agression dont j’ai été victime à onze ans, mon oncle m’a dit : « je te donnerais ce que tu veux. Cela reste entre nous. » Je me suis jurée de ne jamais rien demander, alors qu’il avait les moyens et que j’aurais pu en « profiter ». Accepter quoi que ce soit de sa part prenait le sens de : je t’ai payé… On tombe alors dans le fait d’acheter l’acte sexuel et donc dans la prostitution, dans le fait de pouvoir recommencer pour l’agresseur contre compensation, dans le fait d’acheter le silence… Quand trois ans plus tard, sa femme m’a redonné un vieil ordinateur qui venait de lui, j’étais très mal à l’aise… C’était sa femme, pas lui, et elle ne savait rien de tout cela. Mais le malaise voire le dégoût était là.
Ce mot est employé car la justice l’utilise. Au sens juridique du terme, la réparation est un : “Dédommagement d’un préjudice par la personne qui en est responsable, soit par le rétablissement de la situation antérieure, soit par le versement d’une somme d’argent, c’est-à-dire de dommages-intérêts. (On dit parfois réparation civile.)” On tombe là dans la logique de compenser le préjudice subi. Là encore, les choses sont délicates au-delà de ce que j’ai dit précédemment, la justice cherche à « quantifier » ce préjudice. Dans le film américain “A quel prix”, on voit un avocat qui reçoit la mission de quantifié la somme versée aux familles victimes des attaques du 11 septembre. montre toute la délicatesse de ce processus. La perte subie n’est pas quantifiable. Personnellement, j’ai reçu 5000 euros, autant dire que c’est une somme ridicule, comparée au choc post traumatique vécu, à toutes les conséquences de mon agression sur ma vie, à toutes les thérapies vécues pour guérir de cela « jusqu’au bout ». Il s’agit d’une blessure de l’intime. Ce n’est pas parce que tu « parais » bien, que tu vas réellement bien. La justice juge sur une apparence, et ce malgré les nombreux entretiens qui jalonnent le chemin – de croix ? – de la personne qui porte plainte contre son agresseur. Un juge émérite avec qui je m’étais entretenu à plusieurs reprises avant de me lancer dans cette démarche juridique m’avait dit que la logique de la justice était de partir du pire : le meurtre, puis de diminuer : ah, il n’y a pas eu violences physiques ; ah, le viol n’as pas été “complet”; ah, cela n’a eu lieu « que » trois fois ; ah, cela a l’air d’aller bien dans sa vie… donc on est dans une logique de minimisation. On l’a vu dans le cadre de la violence conjugale, il a fallu l’affaire Jacqueline Sauvage pour qu’il devienne automatique de fouiller le domicile du couple et de retirer les armes du domicile…Cette logique de minimisation du préjudice réel, notamment psychologique pour la personne, n’aide pas à reconnaître la “réparation” proposée pour la justice.
La réparation attendue par la personne qui a été victime d’une telle agression est sans doute d’abord la reconnaissance des actes commis. Et un autre sujet à aborder est sans doute celui de la résilience, du pardon. Mais on ne peut pas tout mélanger. Pour finir, une belle métaphore d’un art de réparation symbolique est le kintsugi (cf image ci-dessus). C’est un art et un symbole de résilience. Un bol cassé est réparé avec de l’or. Le bol est réparé et ce qui constituait ses brisures devient lieu de beauté et de soudure. La réparation, là, est vue comme chemin de résilience. Même s’il est question d’or – métal précieux et donc proche de l’argent qui était un peu le « sujet » de cet article sur la réparation -, on voit bien que sa présence n’a pas le sens de « prix à payer » mais symboliquement d’un bien qui va sortir – paradoxalement d’un mal. En tant que chrétien, on peut le rapprocher du symbole pascale : de la mort a jailli la vie. Beau chemin de résilience à toi ! Au delà des « réparations » qui peuvent être assez illusoire !
Pour aller plus loin, sur cette question de réparation selon la justice :
https://www.village-justice.com/articles/indemnisation-victime-agression-sexuelle,34330.html
Et le reportage de france tv – très à charge – sur les réparations suite aux agressions sexuelles dans le cadre de l’Eglise. S’il est partial, il permet d’avoir une certaine idée de comment cette “réparation” est faite suite à la sortie du rapport de la CIASE :
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Bel article Cécile ! Merci.
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