Le carême selon saint Benoît

Saint Benoît consacre le chapitre 49 de sa règle à l’observance du carême. Chapitre court où il présente à la fois le sens et les moyens proposés pour vivre ce temps “dans la joie du Saint-Esprit”. J’en fais un commentaire suivi

1 Il est clair qu’un moine doit, en tout temps, garder l’observance du carême. 2. Peu en sont capables. Aussi nous suggérons qu’au moins en ces jours du carême, ils gardent leur vie toute pure 3. et, du même coup, effacent pendant ces jours saints toutes les négligences des autres temps.

Pour Benoît, le moine doit vivre “ordinairement” comme en carême. Cela veut dire quoi ? Il fait sans doute référence à l’aspect pénitentiel de la vie monastique. L’objectif n’étant pas de se faire souffrir mais de viser cette vie “pure”, c’est-à-dire en lien avec Dieu, dans la pureté du coeur qui fait que l’on aime avec justesse tant ses frères et soeurs que Dieu. Juste avant nous avons le chapitre sur le travail manuel quotidien, Benoît demande à ses moines de travailler, et de travailler manuellement, c’est à dire comme leurs contemporains, par un travail agricole. Cette vie “ordinaire” est la pénitence, accueillir le travail, la vie commune avec d’autres qui sont différents de moi, et aussi la vie simple : nourriture simple, habit simple et la prière régulière…. On peut aussi se référer au chapitre 4 de la règle de saint Benoît qui est celui qui reprend “les outils du serviteurs de l’Evangile” qui donne les moyens concrets pour aller à Dieu, autant d’outils pour vivre cette vie pure. Cela commence par le décalogue : ne pas tuer, ne pas commettre l’adultère, ne pas voler … !! Le temps du carême vise à effacer les négligences. On se laisse aller, c’est humain, c’est normal, mais il est bon d’avoir des temps où l’on revient au projet initial ! En tant que chrétien dans le monde, cela peut être de revisiter sa relation à Dieu, aux autres, à soi. Si tu es marié/e, revisiter la relation à ton conjoint/ ta conjointe. Si tu es parent, la relation à chacun/e de tes enfants… Une relation se nourrit. Cette “pureté” dont parle Benoît est obtenue par cette attention à cette qualité de relation.

4. Cela se fera convenablement si nous nous abstenons de tous les vices et nous adonnons à la prière avec larmes, à la lecture, à la componction du coeur et à l’abstinence. 

Nous avons là plusieurs chemins proposés par Benoît pour aller vers cette vie “toute pure”. Le premier est de s’abstenir de tous les vices. Ce mot “vices” a un aspect assez technique dans le vocabulaire monastique depuis Evagre le Pontique. D’abord, il y a la pensée, dont on ne maîtrise pas la venue, puis vient notre liberté. Liberté de garder cette pensée en nous ou pas et de la mettre en oeuvre ou pas ! Puis, si je consens à la pensée, vient le péché. Et si le péché devient une habitude, alors je suis dans le vice. Le vice est donc l’habitude de faire un péché particulier. Quand Benoît demande à ses moines de s’abstenir de tous les vices, il leur demande de veiller à ne pas tomber dans des habitudes mauvaises. Je développerais cet aspect dans un article sur les 8 pensées, c’est un point important du combat spirituel. 

Ensuite, Benoît cite trois outils spirituels auquel le moine s’adonne – se donne pleinement. Ceux-ci sont liés entre eux : la prière avec larmes, la lecture, à la componction du coeur. La prière avec larme désigne la prière où l’on se laisse toucher dans sa relation à Dieu. Le but n’est pas d’avoir des larmes de crocodiles… mais de se laisser toucher jusqu’au fond de son être. Cela rejoint la “componction du coeur”, qui est une attitude de la personne qui reconnaît avoir blessé Dieu par son comportement. Le fait de ne pas agir les vices, n’est pas une question morale, elle est une question de lien avec Dieu. Je sais que si j’agis ces vices, je blesse ma relation à moi-même, à l’autre et à Dieu. Et cela me touche. La logique est profondément relationnelle et non d’abord éthique. Au milieu, nous avons la lecture. Il s’agit de la lectio divina, la lecture priante des Ecritures qui sert de moyen par lequel Dieu nous parle. Ce n’est pas une lecture rapide mais une lecture priante, amoureuse, méditative qui tâche d’écouter ce que Dieu me dit à travers cette parole reçue aujourd’hui. Au chapitre 48 (RB 48, 14-25) Benoît prescrit des heures particulières et plus longues que d’habitude à la lecture et chaque moine reçoit un rouleau à l’époque, d’un livre de la Bible, pour le lire “en entier et dans l’ordre”. 

Enfin, Benoît parle d’abstinence. Qu’est-ce que l’abstinence ? c’est le renoncement volontaire à la satisfaction d’un appétit ou d’une envie.  Elle peut concerner tous les désirs : nourriture, alcool, sexualité, écrans… Pour Benoît le moine devrait être habituellement abstinent.Si Benoît parle dans ce chapitre d’abstinence, c’est qu’il reconnaît l’existence du plaisir, même s’il est habituellement assez dur à son égard. Au premier degré de son échelle de l’humilité, il dit que la mort est postée à la porte du plaisir (RB7, 24). Plusieurs fois, il concède cependant ce plaisir pour tenir compte des personnes. Ainsi, il permet aux moines de boire du vin (RB 40) ou qu’il y ait deux plats au choix à table pour chacun trouve quelque chose à son goût. 

5. Pendant ces jours-là, ajoutons donc quelque chose à la tâche habituelle de notre service : prières particulières, abstinence de nourriture ou de boisson. Que chacun, par delà la mesure qui lui est assignée et de sa propre volonté, offre quelque chose à Dieu dans la joie du Saint-Esprit. 7. Qu’il prive son corps de nourriture, de boisson, de sommeil, de bavardage, de plaisanterie, et qu’il attende la sainte Pâques dans la joie du désir spirituel. 

Alors que la vie monastique est déjà bien réglée, avec énormément de pratiques… Benoît demande à ses moines d’en rajouter encore ! Il parle ici d’ajout et dans deux secondes, il parlera de retrait. Mais le fait qu’il commence par parler de cet acte comme un ajout, montre le sens profond qu’il donne à cela. C’est une “offrande”, c’est un cadeau offert à Dieu. Le moine s’est déjà offert tout entier à Dieu. Et là, il peut quelque par renouveler cette offrande symboliquement par un cadeau singulier offert pendant ce temps à celui à qui il a consacré sa vie. Cela peut être vrai pour tout chrétien qui est consacré à Dieu par son baptême. Les catéchumènes qui se préparent particulièrement à recevoir ce sacrement pendant le carême le save particulièrement. Et ce qui est rare là est cette expression “de sa propre volonté”. C’est une des rares  fois où cette expression est positive dans la règle de saint Benoît ! Habituellement, pour Benoît, c’est une très mauvaise chose, la “volonté propre” est plutôt synonyme de volonté égoïste. Là, Benoît encourage son moine à utiliser sa propre volonté pour choisir ce qu’il va offrir à Dieu en plus. Et ce cadeau est offert “dans la joie du Saint Esprit”, j’aime beaucoup cette expression. La plupart du temps le carême fait penser à un temps triste et de privation, Benoît ne le voit pas comme cela. Il a une vision très positive. C’est un temps de joie où l’on fait un cadeau à Dieu. Quand on fait un cadeau à quelqu’un que l’on aime, on est habituellement heureux et joyeux ! 

Alors oui, on parle pourtant de privation : nourriture, boisson, sommeil, bavardage, plaisanterie sont les exemples concrets donnés par Benoît. Le but est de se conformer à l’appel de l’Eglise qui invite au jeûne en ce temps de carême. La privation de sommeil renvoie à la notion de veille dans la prière : devancer l’aurore pour veiller et prier dans la nuit avant que le monde ne s’éveille. Quant aux bavardages et plaisanterie, ils sont des paroles non “essentielles” qui détournent le coeur de la prière. Benoît est vigilant à la parole en tout temps, mais pour le moine sensé “garder son coeur” de ce qui le distrait de Dieu, ce qui est superflu et inutile est proscrit. Mais le sens de ce chemin est bien “ l’attende la sainte Pâques dans la joie du désir spirituel”. Nous sommes encore une fois dans une logique de relation où toute notre personne : notre corps par le jeûne et la veille, notre esprit et notre âme par notre vigilance à nos pensées, se prépare à célébrer la résurrection du Christ, promesse de notre propre résurrection.

8 Toutefois, cette offrande même, chacun la soumettra à son abbé pour l’accomplir avec sa prière et son assentiment. 9 Car ce qui se fait sans la permission du père spirituel sera tenu pour présomption et vaine gloire, non pour acte méritant salaire. 10 tout doit se faire avec l’assentiment de l’abbé. 

Là, on retrouve l’attention à Benoît à l’ouverture du coeur. Nous ne sommes pas une “île”, nous avons besoin d’être accompagnés sur notre chemin de foi. Cela peut sembler de l’infantilisme. Cela a pu l’être parfois. Mais en fait, fondamentalement, si notre offrande est juste / ajustée, alors elle sera acceptée. La personne qui nous accompagne spirituellement n’a aucune raison de la refusée, sans si elle perçoit un décalage. Comme une personne qui est malade est qui choisirait de se priver de nourriture. Le devoir d’état alors demande au contraire de manger pour reprendre des forces et vivre le combat contre la maladie. Nous pouvons avoir des angles morts et la personne qui nous accompagne les verra si elle nous connaît et veut notre bien. Cette ouverture du coeur vise à vérifier que nous ne faisons pas fausse route. Nous pouvons le vivre aussi dans des cadres professionnels ou personnels, de dialoguer avec nos collègues, avec notre conjoint/e… ou notre superviseur/e pour voir si telle ou telle décision est juste. La présomption est de se croire autosuffisant. Il y a des chances qu’en échangeant ma proposition s’affinera !

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