
Du mouvement #metoo jusqu’au rapport de la Ciase, nous entendons régulièrement parler d’abus depuis quelques années. Ils peuvent être de différents types alors il est bon de s’y arrêter un peu. Qu’est-ce qu’un abus ? Qu’est-ce qui est en jeu dans cette relation d’abus ?
Abus de biens sociaux, abus sexuels, abus d’autorité, abus de confiance… toutes ces expressions nous plongent dans des univers à la fois proches et assez différents Qu’est-il en jeu ici ? De quoi parle-t-on ? Quand on parle d’abus, on parle d’abord d’un « usage mauvais ou excessif d’une chose »… Chaque mot compte… Le dernier « chose » fait particulièrement mal quand on pense qu’il ne s’agit pas toujours d’argent ou de biens… mais de personne. Quand une personne est abusée, c’est le cœur de la personne qui est atteint, sa confiance. L’abus atteint la confiance de la personne en elle-même et dans les autres. Ce sont alors toutes les relations qui sont touchées au cœur. Comment refaire confiance quand on a été abusé ?
Le cœur de la définition parle d’« usage mauvais ou excessif ». In medio stat virtus* dit le proverbe latin si bien décrit dans l’Ethique à Nicomaque d’Aristote. Il s’agit donc d’un équilibre à trouver entre deux excès : le trop et le trop peu. Un usage équilibré des biens, des choses, de l’autorité permet des relations saines et aimantes au sein d’une société où chacun a sa place. Le miroir inverse de cet équilibre est ce que les Grecs appelaient l’hybris : l’excès, la démesure, l’abus. Vouloir avoir tout, ne plus voir qu’il y a une limite, confondre ce que je veux et ce que l’autre veut. Ne plus être capable d’écouter le point de vue l’autre car il n’y a plus que soi-même, comme personne ou comme groupe. L’ouverture n’est plus là.
Les abus touchent principalement trois domaines qui souvent s’entremêlent : l’avoir, le pouvoir, le sexe. Nous l’avons vu avec des affaires comme Weinstein ou Strauss-Kahn, le fait d’avoir beaucoup de biens et/ou une place prééminente dans la société peut conduire à un rapport de puissance dans des relations sexuelles aussi. Si personne ne peut dire lui « non », « stop » à cause de sa position sociale ou de son argent dans sa vie publique, pourquoi accepterait-il un refus, une limite dans sa vie « privée ».
Dans la réalité, l’abus est souvent « progressif ». Je pense notamment aux cas de violence conjugale. Cela commence par quelques réflexions désobligeantes ou des moqueries en privé et des paroles non tenues, puis ce sont des insultes de plus en plus violentes et récurrentes, il peut y avoir aussi une peur instaurée par des arrivées brusques et par surprise et le fait de casser des objets. Et ensuite, on passe au stade des abus corporels « direct » : une gifle, puis plusieurs, puis des coups, sans parler du viol « conjugal » qui est encore plus tabou qu’un autre type de viol… puisqu’il est dans le cadre du mariage, il est souvent tourné en dérision et nié…
Quand on parle d’abus, on parle souvent d’abord d’abus sexuels. Rien que sur ceux-là, l’abus peut passer par une sémantique qui décrédibilise ce qui a été, refuse de nommer les choses. Ainsi l’oncle qui m’a agressé enfant m’a dit plus tard : « j’ai eu des gestes déplacés qui n’avait pas de caractère sexuel. » !!! La définition même du « geste déplacé » est précisément d’être à caractère sexuel !!! Avant on parlait pour les attouchements sexuels d’ « attentats à la pudeur »… Le langage peut être très abusif quand il minimise ou cherche à cacher les choses. On se souvient que pendant la deuxième guerre mondiale, les nazis parlaient des personnes juives arrêtés et déportés pour être éliminer de « stück », c’est à dire de pièce, de morceau… Les métaphores peuvent être poétiques… elles peuvent aussi servir à ne pas nommer les choses…
Il y a aussi les abus psychologiques, qui sont souvent la première étape des autres. Une mère peut ne pas toucher sa fille physiquement mais faire que son mari « corrige » sa fille ou la manipuler en soufflant le chaud et le froid. C’est de l’abus même s’il n’est pas toujours directement physique, l’abus psychologique peut avoir un impact très important sur la confiance en soi et en l’autre. Il atteint l’intime de la personne. Le harcèlement moral appartient à cet abus. Il pousse la personne à perdre son estime d’elle-même. Cela peut conduire au burn-out, à la dépression et parfois au suicide, comme on l’a vu chez France Telecom il y a quelques années.
Souvent celui-ci débouche sur des abus physique. Comment croire que tu as de la valeur quand ton corps, le temple de l’Esprit-Saint selon saint Paul, a été battu ? Comment prendre soin de son corps quand il a été maltraité, parfois torturé ? Le corps est le lieu de notre personne qui nous permet d’être au monde, d’être en relation à soi et à l’autre. Quand il a été atteint, cela touche aussi notre être profond. Parfois des personnes confondent les TS (tentatives de suicide) avec le fait de se scarifier (faire des micro coupures notamment sur les avants bras)… non, ce n’est pas la même chose… Ces dernières sont souvent fait dans le cas de maltraitances… comme si on avait besoin de retrouver le contact avec son corps par soi-même… même si c’est en se faisant du mal… et il y a la libération d’endorphine qui leur sont associé qui peut devenir comme une drogue… Chaque cas est unique et seuls des professionnels peuvent saisir ces différences et accompagner cette libération. On ne peut pas jouer avec le feu…
Je voudrais parler d’un abus singulier l’abus « spirituel ». Il est lié à l’abus d’autorité mais ne lui est pas exactement identique. Qu’est-il ? En tant que croyant/e, je peux être accompagné/e spirituellement par une personne à qui je reconnais une autorité spirituelle. Je lui confie ce que je vis. Je m’ouvre à cette personne en toute confiance. J’attends qu’elle m’aide à avancer en lien avec ma foi et à agir en conscience… Quand cette personne le fait de façon alignée, c’est une relation qui aide à la croissance. C’est le sens même du mot « autorité » : « faire croître »… Quand cette personne est centrée sur elle-même, le mal fait peut-être abyssale…. Car ce qui est abîmé là, c’est l’intime de la personne, a conscience, le cœur de sa personne, son identité. Et dans une perspective croyante, la rapport même à sa foi qui était un soutien, un support, une aide et qui devient par là-même un lieu de combat, de sidération et de questions.
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