
Parler du suicide reste difficile. Pourtant, la manière dont on en parle peut faire toute la différence : elle peut soit renforcer la détresse, soit ouvrir un chemin vers la vie. Deux phénomènes opposés le montrent clairement : l’effet Werther et l’effet Papageno.
L’effet Werther : quand les mots entretiennent le désespoir
L’effet Werther tire son nom du roman de Johann Wolfgang von Goethe, Les souffrances du jeune Werther (1774). Dans cette œuvre, un jeune homme se suicide par amour, et la parution du livre provoque une vague de suicides imitatifs à travers l’Europe. Ce phénomène a conduit les chercheurs à reconnaître que la médiatisation d’un suicide peut susciter d’autres passages à l’acte.
Aujourd’hui, on parle d’effet Werther pour désigner l’impact négatif d’une communication qui dramatise ou idéalise le suicide. Quand les médias décrivent en détail les circonstances, la méthode ou les motivations d’une personne décédée, ils peuvent involontairement encourager l’identification chez des personnes vulnérables. Le suicide est alors perçu comme une issue “possible”, voire “compréhensible”.
C’est pourquoi les organismes de santé publique, comme l’OMS, recommandent aux journalistes et aux communicants d’éviter les détails morbides, de ne pas présenter le suicide comme une fatalité et de toujours indiquer les ressources d’aide existantes.
Les mots peuvent blesser, surtout quand ils enferment dans le désespoir.
Le films Le Cercle des poètes disparus (Peter Weir, 1989) ou la série 13 reasons why (série Netflix 2017-2020) sont des exemples de l’effet Werther…
L’effet Papageno : quand les mots redonnent vie
À l’inverse, l’effet Papageno montre la force protectrice de la parole lorsqu’elle est orientée vers l’espoir. Il tire son nom du personnage de Papageno dans La Flûte enchantée de Mozart. Désespéré d’avoir perdu son amour, Papageno envisage de se donner la mort. Trois esprits lui apparaissent alors et lui rappellent qu’il existe d’autres chemins, d’autres soutiens, d’autres raisons de vivre.
En 2010, le chercheur Thomas Niederkrotenthaler et son équipe à l’Université de Vienne ont mis en évidence ce phénomène : les récits de personnes ayant traversé une crise suicidaire et trouvé de l’aide diminuent les idées suicidaires chez ceux qui les entendent ou les lisent. Montrer qu’il est possible de demander de l’aide, de parler, de s’en sortir, c’est activer un puissant levier de prévention.
L’effet Papageno nous rappelle qu’il est non seulement possible, mais nécessaire de parler du suicide — à condition de le faire avec délicatesse, respect et ouverture. La parole devient alors un espace de reconstruction, une passerelle vers la vie.
Les mots peuvent sauver, lorsqu’ils éveillent l’espérance.
Les films Le Goût des Autres (Agnès Jaoui, 2000) ou Will Hunting (Gus Van Sant, 1997) sont des exemples d’effet Papageno.
Parler pour prévenir
Dans nos conversations personnelles, nos espaces professionnels, nos écoles ou nos médias, chacun de nous peut contribuer à cet effet Papageno :
- en donnant la parole à ceux qui ont trouvé un chemin de guérison,
- en écoutant sans juger,
- en orientant vers les structures d’aide,
- et surtout, en rappelant que demander de l’aide n’est pas un signe de faiblesse, mais de courage.
Parler du suicide ne tue pas. C’est le silence, souvent, qui enferme et détruit.
Les mots, eux, peuvent rouvrir un horizon.
Ressources d’aide
Si tu traverses une période difficile ou si tu t’inquiètes pour quelqu’un, tu peux appeler le 3114, le numéro national français de prévention du suicide.
C’est gratuit, disponible 24h/24 et 7j/7, et les professionnels qui répondent sont là pour t’écouter, t’accompagner et t’aider à trouver du soutien près de chez toi.
Bibliographie –
- Thomas NIEDERKROTENTHALER, Benedikt VORACEK, Martin HERBERTH, Patrick TILL, Beate STRIEDER, Christiane VITALE, Barbara SONNECK et Gernot EISENWORT, Role of media reports in completed and prevented suicide: Werther v. Papageno effects, The British Journal of Psychiatry, vol. 197, n° 3, Cambridge University Press, 2010.
👉Article scientifique fondateur qui a introduit le terme effet Papageno et démontré l’impact protecteur de récits positifs sur la prévention du suicide. - Johann Wolfgang von GOETHE, Les souffrances du jeune Werther, Gallimard, coll. « Folio classique », 2011 (1re édition 1774).👉 Œuvre littéraire à l’origine du concept d’effet Werther, dont la publication avait entraîné une vague de suicides imitatifs en Europe.
- Véronique LE GOAZIOU, Le suicide expliqué à ceux qui ne veulent pas mourir, Éditions du Seuil, 2020.👉 Essai contemporain rédigé par une sociologue française, explorant le suicide avec humanité et clarté, en lien avec la parole et la prévention.
- Emmanuel GRANIER , Idées noires et tentatives de suicide, , Éditions Odile Jacob, 2019👉 Cet ouvrage s’adresse non seulement aux professionnels mais aussi aux proches et aux personnes intéressées par le sujet : il explique « Qu’est-ce qui pousse à vouloir mourir ? », « Quelle attitude avoir avec quelqu’un en proie à des idées ou à des gestes suicidaires ? »
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