Emprise et déprise

Tout le monde peut tomber sous l’emprise d’une autre personne si elle est en situation de vulnérabilité. Les conséquences peuvent être dramatiques. Comprendre ce qui a été en jeux permet de se « déprendre » progressivement et d’être vraiment LIBRE !

L’emprise ne commence jamais par la contrainte. Elle s’installe dans la douceur, la confiance, le sentiment d’être enfin compris. Peu à peu pourtant, elle enferme. Comprendre ce mécanisme permet d’en sortir, de retrouver sa liberté intérieure et de reconnaître les formes d’influence destructrices, qu’elles soient psychologiques, spirituelles ou institutionnelles.

Comment l’emprise s’installe

L’emprise repose sur un processus progressif de prise de pouvoir. Elle naît souvent dans une relation asymétrique : un mentor, un supérieur, un guide spirituel, un conjoint… La personne exerçant l’emprise — consciemment ou non — se présente d’abord comme bienveillante et sécurisante.
Elle capte l’attention, valorise, écoute, puis installe une dépendance affective ou intellectuelle.

Le mécanisme suit plusieurs étapes :

  1. Séduction et captation : l’autre est séduit par le charisme, la compétence, la spiritualité ou la force apparente du “guide”.
  2. Confiance et adhésion : la relation devient exclusive. L’autre devient “celui qui sait”, “celui qui comprend”.
  3. Dévalorisation et contrôle : les critiques extérieures sont disqualifiées, les doutes sont culpabilisés (“tu n’as pas assez de foi”, “tu ne comprends pas encore”).
  4. Isolement et perte de repères : les liens familiaux ou amicaux s’effritent, la personne sous emprise finit par douter d’elle-même et de sa capacité à penser.

Le plus redoutable, c’est que l’emprise agit de l’intérieur : la personne en vient à penser que c’est elle qui choisit, alors qu’elle est déjà sous influence.

Un langage propre et ambivalent

L’un des outils les plus puissants de l’emprise est le langage. Peu à peu, un vocabulaire spécifique s’installe : des mots nouveaux, des expressions codées, une grammaire morale ou spirituelle particulière.
Ce langage crée un univers clos, où seuls les initiés comprennent. Il devient un marqueur d’appartenance et un moyen de distinction entre “ceux qui savent” et “ceux du dehors”.

Souvent, ce langage est ambigu : il mélange des notions de bienveillance et de menace, de liberté et d’obéissance.
➡️ Par exemple : “obéir, c’est être libre”, “se remettre en question, c’est grandir”, “ceux qui partent ne sont pas prêts”. Ces formules valorisent la soumission en la travestissant en maturité spirituelle ou loyauté.

À force, la personne en vient à penser avec les mots de l’autre, perdant sa propre capacité à nommer la réalité. Et sans langage propre, il devient presque impossible de penser autrement.

Le cercle fermé de la “famille”

Autre caractéristique de l’emprise : la construction d’une famille de substitution.
Le groupe ou la relation se présente comme un refuge, un lieu où l’on se sent enfin compris, “en mission”, “entre élus”.
Cette fusion communautaire renforce la dépendance : le “nous” prend le pas sur le “je”.

Mais cette famille a un prix : pour en faire partie, il faut souvent rompre avec le monde extérieur. Les proches deviennent des “influences négatives”, les critiques des “persécuteurs”.
Le sentiment d’appartenance devient si fort que sortir du groupe équivaut à trahir ou à “mourir symboliquement”.
C’est ainsi que l’emprise transforme la communauté en système clos, coupant progressivement la personne de toute ressource alternative.

Les conditions favorables à l’emprise

L’emprise ne s’installe pas seulement par manipulation, mais aussi grâce à un terrain affaibli.
Certaines conditions rendent l’esprit plus vulnérable :

  • Sous-alimentation : le manque d’énergie physique diminue la résistance psychique.
  • Privation de sommeil : la fatigue altère la pensée critique.
  • Absence de temps personnel : une activité constante, sans moments de pause, empêche toute prise de recul.
  • Pression morale ou idéologique : vouloir “être à la hauteur”, “servir” ou “donner le meilleur de soi” crée une tension intérieure permanente.

L’emprise prospère là où le corps et l’esprit ne peuvent plus dire non. Le manque d’espace, de silence et de repos devient un terrain idéal pour l’aveuglement.

Les conséquences de l’emprise

Les effets de l’emprise sont souvent profonds, durables et multiformes.
Psychologiquement, la personne peut souffrir de perte de confiance, d’anxiété, de culpabilité, voire de dissociation. Elle doute de sa perception, de sa mémoire, de son droit à penser.
Physiquement, l’épuisement est fréquent : troubles du sommeil, perte ou prise de poids, tension nerveuse constante. Le corps garde la trace de la domination subie.
Affectivement, la peur d’être rejeté, la difficulté à faire confiance et la honte persistent longtemps après la rupture.
Spirituellement ou intellectuellement, la personne peut traverser une période de vide ou de désillusion : ce qu’elle croyait porteur de lumière s’est révélé destructeur.

Ces conséquences ne sont pas des signes de faiblesse, mais les marques d’un abus invisible qui a usé la liberté de l’intérieur.

Les chemins de la déprise : retrouver espace, temps et confiance

Sortir de l’emprise n’est pas un geste héroïque mais un chemin lent de reconstruction.
La déprise demande du temps, de l’espace, et des appuis extérieurs solides. Il s’agit moins de “rompre” que de renaître à soi-même.

1. Créer un espace de sécurité
Avant toute réflexion, il faut se sentir en sécurité : physiquement, émotionnellement, psychologiquement. Cela peut impliquer de quitter le groupe, de limiter les contacts, ou simplement de reprendre des habitudes de vie simples et stables.
Le calme extérieur prépare le calme intérieur.

2. Retrouver le corps et le rythme vital
Le corps est le premier lieu de vérité. Reprendre des repas réguliers, dormir, marcher, respirer, se reconnecter à la nature : tout cela redonne ancrage et discernement.
La santé physique soutient la clarté mentale.

3. Redonner du temps au temps
L’emprise étouffe tout espace personnel. La déprise réclame la lenteur : laisser venir les émotions, ne pas chercher à “comprendre vite”.
Le silence, les moments “inutiles”, les pauses deviennent essentiels : c’est dans ces interstices que la liberté refait surface.

4. Nommer et comprendre
Mettre des mots sur ce qui s’est passé, lire, écrire, parler à un tiers neutre : ces gestes aident à retrouver le fil de son histoire.
Nommer, c’est se réapproprier sa pensée et restaurer le sens.

5. Être accompagné
Un accompagnement professionnel aide à distinguer culpabilité et responsabilité, à reconstruire l’estime de soi et à se protéger de nouvelles formes de dépendance.
La personne retrouve progressivement une position d’adulte libre, capable de choisir.

6. Retisser des liens sains
L’isolement fragilise. Retrouver des relations équilibrées — amitiés, famille, groupes de soutien — redonne souffle et confiance.
Ces liens deviennent des repères extérieurs qui empêchent de retomber dans la fusion.

7. Réapprendre la confiance et la foi en la vie
La sortie d’emprise laisse souvent un vide spirituel ou existentiel.
Revenir à une relation simple à soi, aux autres, à Dieu pour ceux qui croient, sans intermédiaire ni autorité contraignante, fait partie de la reconstruction du sens.
C’est une foi et une confiance qui ne se soumettent plus, mais s’enracinent dans la liberté.

La déprise n’est donc pas seulement un arrachement, c’est une renaissance intérieure. On ne redevient pas la personne d’avant : on devient plus lucide, plus vivant, plus ancré.

Points d’attention

  • Une relation d’accompagnement saine laisse la liberté de désaccord.
  • Un vrai guide renvoie toujours à la responsabilité et à la conscience personnelle, jamais à la dépendance.
  • Le doute est un signe de santé, non un signe d’infidélité.

Reconnaître l’emprise, c’est déjà s’en libérer. Et accompagner quelqu’un sur ce chemin de déprise, c’est lui rendre son plus beau pouvoir : celui d’être pleinement auteur de sa vie.

Pour aller plus loin

  • Marie-France HIRIGOYEN, Le harcèlement moral : la violence perverse au quotidien, Syros, 1998.
  • Isabelle NAZARE-AGA, Les manipulateurs sont parmi nous : qui sont-ils ? Comment s’en protéger ?, Eyrolles, 1997.
  • Saverio TOMASELLA, Sortir de l’emprise : comment se reconstruire après une relation toxique, Odile Jacob, 2020.

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