Parole et Silence dans la tradition monastique

source photographique : photo du cloître de l’abbaye du Bec prise par Cécile Azard

Dans la tradition monastique chrétienne, parole et silence sont parfois opposées. En réalité, le silence est plutôt un écrin pour écouter la parole ! Et la parole dite cherche à avoir du poids ! Apprendre à équilibrer ces deux réalités est une clé pour une vie spirituelle et humaine harmonieuse.

La primeur du silence : pour favoriser le recueillement – 

Le silence est favorisé dans le cadre monastique pour favoriser l’intériorité, le recueillement, la prière, l’écoute. Il n’est pas un “en-soi” mais il est bon “en vue” de favoriser l’écoute… Que cela soit l’écoute du frère / de la sœur, que l’écoute de Dieu. Difficile d’écouter quand on est sursollicité par des bruits, des paroles, des musiques. C’est une des choses qui a été difficiles en sortant de communauté, ce bruit constant, non seulement sonores mais aussi visuels. 

Il n’y a pas que le silence des paroles mais ce qu’on appelle le “silence d’action”, c’est à dire d’éviter de faire du bruit comme de claquer une porte, de tousser trop fort… Il est demandé une attention particulière à garder le silence dans certains lieux comme l’oratoire, le cloître, les cellules (les chambres dans le langage monastique)… qui sont des lieux de prière et de recueillement.. 

Le silence est aussi couvert par des temps particuliers. Ainsi il y a le “grand silence” de la nuit : de la fin des complies au lendemain matin après les laudes, on garde le silence. Là aussi, ce temps singulier de la nuit est gardé pour le sommeil et la prière et le recueillement. Et on garde aussi le silence pendant le travail, pour favoriser la prière continuelle. On est sensé parlé uniquement pour dire quelque chose de nécessaire pour le travail. 

Que peut nous dire ce silence pour nous aujourd’hui ? 

A l’heure où nous sommes très sollicité par un arrière fond très bruyant de paroles et de bruit de toute sorte, se demander : 

  • Qu’est ce qui me prend comme énergie / bruit ? parole ? / niveau sonore ?
  • Puis-je m’offrir des temps de silence ? Quand ? Pour combien de temps ? 
  • Est-ce que je peux m’offrir un / temps de connexion ?

Des actions concrètes peuvent aussi aider comme de couper les notifications des applications, avoir un casque anti-bruit, aller marcher dans la nature sans son téléphone… 

Quelles paroles ? 

La vie monastique est vraiment l’illustration assez parfaite du proverbe : “La parole est d’argent et le silence est d’or”. C’est d’abord le silence qui est mis en valeur comme “habitus”. L’objectif n’étant pas le silence “en soi”, mais de favoriser le recueillement et l’écoute. Quelle parole est favorisée ? Sous quelle forme ?…

Ecoute de la parole de Dieu – 

Le silence vise d’abord à écouter Dieu. Comme le dit saint Jérôme : « Quand tu pries, tu parles à Dieu ; quand tu lis l’Écriture, c’est Dieu qui te parle. » (Lettre 22 à Eustochium). La manière d’écouter Dieu passe – notamment – par la lecture et l’écoute de la Bible. Celle-ci est lue à longueur de journée. Elle est priée. Cela peut être ensemble en communauté, à l’oratoire pendant les offices – c’est à dire les temps de prière; et personnellement par le moine / la moniale dans sa cellule pendant la lectio divina ou à d’autres temps. Elle est lue aussi au réfectoire, pendant les repas ou par des commentaires l’expliquant, soit pendant les offices de nuit. Elle est aussi travaillé intellectuellement pour ne pas se tromper de sens en la lisant. Cela se fait par des études de théologie, des sessions de formation biblique, du travail personnel, l’apprentissage des langues bibliques… Tout ceci, ce sont des moyens externes pour favoriser d’avoir à écouter, à se laisser travailler par la parole de Dieu. 

Ecouter est d’abord une disposition intérieure qui est favorisée par un cadre où il y a un environnement qui favorise cette écoute : par le climat de silence, par le fait d’avoir une ou plusieurs bibles chacun/e et tout une bibliothèque qui permet de creuser le texte… d’avoir aussi des temps dédié à cette écoute biblique tant ensemble que personnellement… Mais après, la liberté est laissé de “profiter” – c’est à dire tirer profit – ou pas de ces dispositions extérieures pour vraiment vivre cette réception de la Parole de Dieu ! Cette disposition intérieure est fondamentale et c’est un combat quotidien de se rendre disponible intérieurement pour recevoir cette parole, ce “pain quotidien” spirituel qui nous est donnée pour ‘aujourd’hui’ comme le dit le Notre-Père. 

L’autre volet fondamental de la parole est la parole échangée entre frères / entre soeurs dans la communauté ou avec les personnes de l’extérieur. Celle-ci est très réglementée dans la Règle de Saint Benoît. A l’intérieur de la communauté,  la parole échangée entre frère l’est par “utilité”, un mot qu’aime beaucoup saint Benoît. Elle est très réglementée : il y a des temps, des lieux, des moments pour parler. La parole n’est pas échangée à tords et à travers. On parle car c’est nécessaire pour le travail fait en commun. On parle car il y a une décision à prendre en communauté, alors l’abbé réunit le chapitre des frères pour écouter chacun sur tel sujet et discerner ce qui est bon. On parle personnellement à un frère pour lui dire en face ce qui ne va pas. On parle pour soutenir un frère qui ne va pas bien. La parole est “utile”. Benoît insiste sur le fait que tous doivent parler. La parole est donc aussi un “devoir”. Ne pas donner son avis est une manière de ne pas être engagé.e !

Vis à vis de l’extérieur, il y a la notion de clôture qui entre en jeu. Le portier et l’hôtelier – avec l’abbé – sont les personnes qui jouent le rôle de frontière entre la communauté et les personnes qui passent : les hôtes. Ainsi les frères ne parlent pas aux hôtes sans permission ou sans être mandaté pour le faire. L’abbé est le garant du bon accueil des hôtes qui sont reçus “comme le Christ” par les hôteliers. Et l’hôte ou le frère de passage offre parfois une parole qui peut être une parole de vie pour la communauté. 

La manière de parler aussi est importante. La parole est habitée. On ne parle pas pour ne rien dire… 

Que faire de cela pour aujourd’hui ? 

Souvent, aujourd’hui la parole n’a plus de poids… Prendre le temps de cette écoute avant de prendre la parole, d’écrire aussi ce que l’on veut dire pour éviter d’y aller “comme cela” et du coup, de ne pas dire ce que l’on voulait dire ! Bref, se poser, réfléchir avant de parler. 

Parler en peu de mots en gardant l’essentiel. 

Se nourrir de paroles qui nous construisent : par la lecture et l’écoute de parole qui nous “édifient” un autre mot fétiche de Saint Benoît… Quelles paroles me construisent ? 

Prendre le temps de goûter des paroles de vie par la lectio, par la méditation… 

En conclusion,  dans un monde où les mots sont souvent galvaudés, la tradition monastique nous enseigne que le silence est la matrice d’une parole vraie, et que la parole trouve son poids et sa profondeur dans l’espace du silence. Inspirée de la tradition monastique chrétienne, l’art d’équilibrer parole et silence est une discipline qui enrichit la vie intérieure et les relations humaines. Ce n’est pas un renoncement à parler, mais une invitation à le faire avec justesse, après avoir écouté profondément. Dans le silence, nous apprenons à discerner ce qui doit être dit, et dans la parole, nous partageons les fruits de ce discernement. La vigilance et le discernement sont deux outils importants pour apprendre à savoir quand parler et quand se taire !

« Le silence est le commencement de la purification de l’âme. La parole peut réchauffer ou blesser ; garde-la pour la lumière. »

Source : Évagre, Traité pratique, chapitre 27.


Pour aller plus loin, vous pouvez lire ce livre à la fois philosophique et poétique : Jean-Louis Chrétien, L’Arche de la Parole, PUF, 1998. 

L’auteur explore la parole humaine comme un acte fondamental qui engage l’être tout entier. Il lie la parole à l’écoute, insistant sur le fait qu’avant de parler, l’humain est appelé à écouter. Ce « dialogue primordial » inscrit l’humain dans une relation vivante avec autrui, avec soi-même, et avec Dieu. La parole n’est pas un simple outil de communication, mais une réponse à un appel, marquée par une transcendance qui la dépasse. Jean-Louis Chrétien apporte une réflexion philosophique et théologique sur la profondeur de la parole, en montrant comment elle est à la fois un don et une responsabilité. Cette perspective peut enrichir des discussions sur la communication authentique, l’écoute active, et la spiritualité dans la parole, particulièrement dans des contextes où la parole fonde les relations humaines et sociales.

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