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Depuis que j’ai quitté la communauté où j’ai vécu pendant 17 ans, et jusqu’à aujourd’hui, je prends conscience des abus sociaux que nous vivons en tant que religieux / prêtre. Alors, c’est sans doute, en parti liée à notre réalité française où des droits sociaux existent, ce qui est loin d’être le cas partout dans le monde !Cela n’empêche que ce décalage qui existe entre les droits des citoyens et les nôtres quand on est passé par la vie religieuse ou le séminaire ou la prêtrise nous prive de certains de ces droits… Je voulais regarder cela aujourd’hui.
Petite histoire de droits sociaux en France –
Ma première formation universitaire a été de passer le CAPES d’histoire géographie. Lors de ma formation, j’ai eu un cours passionnant sur l’histoire des droits sociaux en France. En très gros, ces droits sont nés au cours du 19ème siècle, en lien avec la révolution industrielle qui voit le développement des usines et de la condition ouvrière… Je me souviens de ma réaction de choc en découvrant que la première loi a été faite pour limiter le travail des enfants ! Je vous mets ici la liste des principales étapes de ces droits sociaux liés particulièrement au travail. Il n’y pas ce qui concerne les logements sociaux qui est une partie importante de ses droits aussi. Les droits sociaux ont été le fruit d’un combat progressif, surtout des travailleurs et aussi de quelques intellectuels et personnes engagées pour faire reconnaître des besoins de protection des personnes, et donc finalement du respect des droits humains.
| 1841 – Première loi du travail : Limite le temps de travail pour les enfants de moins de 12 ans à 8 heures par jour et interdit le travail de nuit pour les enfants de moins de 13 ans.Interdit le travail souterrain pour les enfants de moins de 12 ans et pour les femmes. 1848 – Révolution de 1848 : Introduction du droit à l’assistance et du droit au travail.Création des Ateliers Nationaux pour fournir du travail aux chômeurs. 1864 – Abolition du délit de coalition : Permet aux ouvriers de se regrouper pour défendre leurs intérêts communs, marquant le début du droit syndical. 1884 – Loi Waldeck-Rousseau : Légalise les syndicats en France, permettant aux travailleurs de s’organiser collectivement. 1898 – Loi sur les accidents du travail : Oblige les employeurs à assurer les salariés contre les accidents du travail, instaurant une responsabilité sans faute de l’employeur. 1910 – Loi sur les retraites ouvrières et paysannes (ROP) : Crée un régime de retraite pour les salariés de l’industrie et du commerce, financé par des cotisations des employeurs et des salariés. 1928 et 1930 – Lois sur les assurances sociales : Mettent en place une assurance pour les risques maladie, maternité, invalidité, vieillesse et décès pour les salariés.Instaurent un régime spécial pour les agriculteurs. 1932 – Loi sur les allocations familiales : Prévoit des allocations pour couvrir les charges familiales, financées par des versements patronaux. 1945 – Ordonnances du 4 et 19 octobre : Créent la Sécurité sociale en France, visant à unifier les institutions et à généraliser progressivement la protection sociale à l’ensemble de la population.Instaurent un régime général pour les salariés et un régime spécifique pour les travailleurs indépendants. 1946 – Préambule de la Constitution de la IVe République : Reconnaît le droit de tous à la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. 1967 – Ordonnances Jeanneney : Assurent la séparation financière des risques en trois branches distinctes : santé, vieillesse, famille.Créent la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS), et la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF). 1999 – Couverture maladie universelle (CMU) : Instaure une protection de santé basée sur la résidence, garantissant une couverture de base et complémentaire pour les plus démunis. Ces lois et décisions ont façonné le système de protection sociale en France, en réponse aux besoins croissants de sécurité et de protection des travailleurs et des citoyens. |
Les droits sociaux des religieux et prêtres en France –
J’ai fait ce « détour » car il me semble essentiel pour aborder la situation particulière des droits des religieux dans ce contexte, car l’Eglise catholique a créé un système à part qui ne nous permet pas de bénéficier pleinement des droits sociaux que nous avons en tant que citoyen/ne français/e. Après la naissance de la sécurité sociale puis la mise en place d’un système de retraite, elle a décidé de la création de ce qui est maintenant la CAVIMAC depuis 1978, la caisse d’assurance vieillesse dédiée aux ministres du culte.
Ce système, pensé à l’origine pour respecter le statut particulier des consacrés, se révèle aujourd’hui profondément inégalitaire. Il prive nombre d’entre eux de droits sociaux fondamentaux : pas de droit au chômage, des retraites souvent très faibles, et une absence de reconnaissance équivalente à celle des autres citoyens français.
Ce que l’on appelle trop pudiquement « vocation » ne devrait pas exclure de la protection sociale. Quand les années passent et que la sortie de la vie religieuse devient une réalité — librement choisie ou non — beaucoup se retrouvent sans ressources, sans droits, et sans voix.
Un système à part : la CAVIMAC
Créée en 1978, la CAVIMAC (Caisse d’assurance vieillesse, invalidité et maladie des cultes) est un organisme de sécurité sociale spécifique, réservé aux ministres du culte et membres des congrégations religieuses. Elle couvre leur maladie, leur vieillesse et leur invalidité… sur un modèle distinct du régime général, avec des conditions « minimales » pour ne pas payer trop cher… Ceci, sur le dos des droits des personnes qui s’engagent avec générosité, mais sans savoir ce qu’il en est réellement de cette différence de droit.
Contrairement aux salariés ou aux indépendants, les religieux ne cotisent pas à l’assurance chômage. Ils ne perçoivent donc aucune allocation s’ils quittent la vie religieuse sans contrat de travail en place. Quant à la retraite, elle est calculée sur des bases forfaitaires, sans lien avec la durée ni l’intensité de l’engagement. Visant à l’égalité entre les personnes quelle qu’ait été leur fonction ou responsabilité, elle est calculée ‘à minima », tenant compte du fait que les personnes seront « en communauté » et n’ont donc pas « besoin » d’une « grosse retraite », puisque les pensions des religieux sont regroupées par être gérée par la communauté ou que le prêtre sera habituellement logés.
Le choix de confier leur couverture sociale à une caisse distincte — au nom de la neutralité de l’État vis-à-vis des cultes — crée de fait une rupture d’égalité.
Conséquences concrètes : quand l’obéissance mène à la précarité
Prenons le cas d’une femme ayant passé 30 ans dans un monastère, au service de la communauté : cuisine, accompagnement des malades, tâches administratives, gestion de la maison… À la sortie, aucun droit au chômage, aucune reconnaissance de son expérience, et une retraite dérisoire, souvent bien inférieure au minimum vieillesse.
Ce n’est pas une exception. De nombreux anciens religieux et religieuses, après avoir quitté leur congrégation, se retrouvent sans filet social. Leur parcours est considéré comme « hors norme », et bien souvent, leur expertise humaine, spirituelle ou organisationnelle est invisible pour les structures d’insertion.
Certaines congrégations choisissent de soutenir financièrement leurs anciens membres. Mais ce soutien est inégal, opaque, dépendant du bon vouloir des supérieurs ou du patrimoine de la communauté. Il n’est ni garanti, ni encadré juridiquement. La personne reste donc dépendante du milieu qu’elle a quitté.
| Que dit le droit de l’Eglise catholique ? Le droit canon régit le droit de l’Eglise catholique. Le code de droit canonique parle de notre sujet au canon 702 que nous citons ici Can. 702 – § 1. §1. Les membres qui sortent légitimement d’un institut religieux ou qui en ont été légitimement renvoyés ne peuvent rien lui réclamer pour quelque travail que ce soit, accompli dans l’institut. §2. L’institut gardera l’équité et la charité évangélique à l’égard du membre qui en est séparé. Source : https://www.droitcanonique.fr/codes/cic-1983-1/c-702-cic-1983-702 traduction francophone officielle 📌 Interprétation : Le §1 établit clairement que l’ancien religieux n’a aucun droit à une compensation pour les années de service dans l’institut (qu’il ait travaillé en cuisine, en soin, en administration…). Le §2 invite l’institut à faire preuve de générosité « autant qu’il le peut », mais sans aucune obligation juridique ou financière. L’usage conseille de donner 1000 euros par mois, l’équivalent du SMIG mais sans obligation… Certains se retrouvent sans rien ou avec l’obligation de rembourser les sommes considérées comme « prêtées » ! Cela signifie que l’Église elle-même, par son droit interne, ne garantit aucun droit social aux personnes qui quittent la vie religieuse, même après une vie entière donnée en son sein. |
Un système à repenser : entre angles morts et inertie institutionnelle
Ces situations ne relèvent pas d’un simple oubli administratif : elles sont la conséquence d’un système légalement établi, mais moralement questionnable.
En acceptant que les religieux soient affiliés à une caisse à part, sans filet de sécurité comparable au reste des citoyens, la République crée un angle mort social dans lequel s’engouffrent trop de vies brisées.
Le discours ecclésial sur la liberté de la vocation se heurte ici à une réalité juridique : l’absence de droits sociaux empêche parfois concrètement de quitter une communauté, ou place les anciens religieux dans une précarité honteuse.
On pourrait y voir une forme d’abus structurel : non pas d’intention malveillante, mais un système qui nie aux personnes un socle de droits fondamentaux au nom d’une singularité religieuse. Et l’Église, comme les pouvoirs publics, semblent peu pressés de s’en saisir.
Pour un sursaut de justice
Il est urgent d’ouvrir un débat public sur la condition sociale des personnes ayant quitté la vie religieuse. Que les personnes aient conscience de cette inégalité criante, des droits humains fondamentaux non respectés concernant des centaines de personnes qui quittent la vie religieuse ou la prêtrise chaque année. D’un point de vue personnel, je pense qu’il serait juste que la CAVIMAC soit tout simplement dissoute et que les cultes qui la composent entrent dans le régime général. Cela a été le chemin depuis plusieurs années de rendre plus uniforme les droits.
S’engager dans la vie religieuse ne devrait pas signifier renoncer à ses droits fondamentaux. Et sortir de la vie consacrée ne devrait pas condamner à la précarité. L’heure est venue de regarder en face cette réalité trop longtemps passée sous silence, et d’agir pour que la justice sociale rejoigne enfin les chemins de la foi.
Il est temps d’ouvrir les yeux : le système de la CAVIMAC, pensé pour respecter la singularité des ministres du culte, est devenu un système déficitaire, opaque et profondément inégalitaire. Il place des milliers de religieux et de religieuses dans une situation de non-droit social, sans chômage, sans reconnaissance réelle de leur travail, et avec une retraite souvent indigne. La CAVIMAC ne donne pas le nombre ni les noms de ses « AMC » : anciens ministres du culte. Ceux-ci viennent du reste d’être exclus du CA de la CAVIMAC.
Continuer à faire vivre ce régime à part, c’est entretenir une zone grise où les protections fondamentales ne s’appliquent plus.
C’est accepter qu’au nom de leur engagement spirituel, certains soient exclus de la solidarité nationale.
Il est temps que l’Église entre pleinement dans le régime général de la sécurité sociale, et offre à ses membres les mêmes droits que tous les citoyens français. Le respect de la vocation ne passe pas par l’isolement juridique. Il passe par la reconnaissance pleine et entière de la dignité de chaque personne, jusque dans sa protection sociale.
Mettre fin à la CAVIMAC, c’est choisir la justice. C’est refuser que des personnes engagées au service de Dieu et des autres soient, à la sortie de leur engagement, traitées comme des oubliés de la République.
Quand je suis sortie de communauté, une conseillère municipale m’a dit que j’avais moins de droit qu’un détenu sortant de prison, alors, j’ai fait le comparatif suivant :
| Les droits d’un détenu sortant de prison et d’un religieux ou prêtre quittant la vie religieuse |
| 👉 Un détenu sortant de prison a accès à : L’assurance maladie Le RSA (s’il est sans ressources) Éventuellement l’assurance chômage (selon son parcours antérieur) Des dispositifs d’hébergement et d’accompagnement Droit au CPF – compte personnel de formation ? Si la personne a travaillé avant sa détention, elle a accumulé des droits CPF qu’elle peut utiliser à sa sortie.Si elle a travaillé pendant sa détention (ateliers de production, emploi pénitentiaire), elle acquiert aussi des droits CPF, même si les montants sont limités. Elle peut donc utiliser son CPF pour financer des formations qualifiantes, un permis de conduire, un bilan de compétences, etc. 👉 À l’inverse, une personne quittant la vie religieuse sans contrat ni couverture complémentaire : Peut toucher le RSA (s’il est sans ressource) N’a pas droit au chômage (même après 20 ou 40 ans de service communautaire, s’il n’avait pas de contrat de travail) N’a pas de CPF non plus A très peu de retraite Et aucun accompagnement spécifique pour sa réinsertion sociale Droit au CPF – compte personnel de formation ? ❌ Les religieux et religieuses n’ont pas de CPF, car ils ne sont ni salariés, ni indépendants au sens du droit commun. Étant affiliés à la CAVIMAC et non au régime général, aucune cotisation au CPF n’est versée pour eux. 👉 Conséquence : une personne qui quitte la vie religieuse n’a aucun crédit de formation mobilisable, même après 20 ou 30 ans de service. |
Certaines communautés « apostoliques » permettent que leurs membres soient salariés, là, leurs droits sont parfois davantage respectés. Et parfois, même le fait d’être religieux ou prêtre donne lieu « officiellement » notamment dans les institutions d’enseignements catholiques, à des salaires « dégradés » car il est estimé que le religieux est logé, nourri, blanchi par sa communauté – ou le prêtre par son diocèse – ce qui laisse – là aussi – la place à des inégalités et des injustices sociales…
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